Enseigner la Shoah. Umgang mit der Shoah in der Schule. Insegnare la Shoah

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Titel
Enseigner la Shoah. Umgang mit der Shoah in der Schule. Insegnare la Shoa.


Autor(en)
Groupe d’étude de didactique de l’histoire de la Suisse romande
Reihe
Didactica Historica (5/2019)
Erschienen
Neuchâtel 2019: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
216 S.
von
Ruth Fivaz-Silbermann

Publié conjointement par les groupes d’étude de didactique de l’histoire de Suisse romande, italienne et allemande, le volume rassemble des contributions théoriques et pratiques en provenance de Suisse, d’Autriche, d’Israël, d’Allemagne, des Pays-Bas, du Canada, de Grande-Bretagne, de France et d’Italie. Fourmillant d’analyses et d’initiatives intéressantes sur les moyens d’enseigner l’histoire très particulière de l’extermination des Juifs d’Europe et d’en transmettre l’importance tout en l’intégrant dans l’initiation aux Droits humains, il est à recommander à tous les enseignants et enseignantes d’histoire.

Nadine Fink et Nathalie Masungi, de la Haute école pédagogique du canton de Vaud, introduisent le débat. Il s’agit de favoriser les dispositifs éducatifs permettant de sensibiliser les élèves de divers niveaux aux problématiques de l’Holocauste et des crimes contre l’humanité; de réfléchir aux idéologies qui ont pu conduire à exclure puis à assassiner des êtres humains totalement intégrés dans leur société respective; et de prendre connaissance du développement de la justice internationale et des droits humains à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

L’enseignement de la Shoah – à la fois génocide et crime contre l’humanité – est lié non seulement au temps des événements, mais aussi au temps de leur reconstitution et au temps de leur transmission: aujourd’hui. Pourquoi donc (encore) enseigner la Shoah, et non un autre des événements génocidaires de l’histoire? On constate pourtant qu’enseignants et élèves sont très engagés pour étudier ce sujet «à part»: la question glisse donc du «pourquoi?» au «comment?». La littérature scientifique et didactique recommande aujourd’hui de prendre en compte les perspectives des différents acteurs impliqués: les victimes, dans leur totalité humaine, et non seulement au dernier stade de leur déshumanisation; les témoins («bystanders»), du plus passif au plus engagé (les «Justes»); les perpétrateurs, à tous les degrés d’implication. Les auteures passent en revue les dispositifs possibles après l’ère des derniers témoins vivants: témoignages audiovisuels permettant une «rencontre virtuelle» avec l’élève (des applications numériques pour les écoles germanophones comme francophones de Suisse existent ou sont en voie de réalisation); écrits autobiographiques et documents d’archives à utiliser sous forme d’atelier; littérature de fiction, notamment en bande dessinée; enfin, visite de lieux de mémoire, souvent dans le voisinage immédiat des écoles, comme, en Suisse, des camps de réfugiés durant la guerre.

Monique Eckmann, de la Haute école de travail social HES-SO de Genève, présente une réflexion sur l’enseignement de la Shoah en pays neutre et «bystander», la Suisse, un sujet particulier, soumis à des dilemmes et à des ambivalences. Quel lexique faut-il utiliser? «Holocauste», qui entraîne une sorte de sacralisation et un concept de finalité du crime? «Shoah»? «Crimes nazis»? «Destruction des Juifs d’Europe», terme ni normatif ni mystificateur, mais qui ne s’est pas imposé? À défaut de bonne solution, il faut soulever le problème. Quant à la perception publique, elle est ambivalente en Suisse: pays courageux, entouré par l’Axe et néanmoins humanitaire? Pays non concerné par des événements qui se passaient «ailleurs»? Ou pays coupable au vu de sa politique des réfugiés et de sa complicité économique? Et peut-on comparer l’Holocauste à d’autres génocides? Oui, s’il s’agit d’étudier historiquement (compare) les uns et les autres; non, s’il s’agit de banaliser (equate) l’Holocauste, ce qui équivaut à le minimiser. Enfin, peut-on, comme le réclament les gouvernements et les programmes, lier enseignement de la Shoah et enseignement des Droits humains? L’auteure conclut, longue expérience à l’appui, qu’il est difficile d’enseigner la motivation nécessaire pour reconnaître les violations et aider activement les victimes, mais qu’il est possible et souhaitable d’enseigner et donc d’éduquer dans et par les Droits humains, en garantissant l’égalité de traitement, le débat démocratique et le respect des droits de chaque élève. Enfin, l’enseignement doit être attentif aux émotions et aux attentes des élèves, car le sujet hautement émotif de la Shoah fait surgir identifications et ressentiments chez les élèves comme chez les enseignants. L’analyse, plus que sur les seules victimes, doit porter sur les mécanismes qui ont permis au régime génocidaire de perpétrer ses crimes: la radicalisation politique et l’instauration de la terreur.

Droits humains? L’auteure conclut, longue expérience à l’appui, qu’il est difficile d’enseigner la motivation nécessaire pour reconnaître les violations et aider activement les victimes, mais qu’il est possible et souhaitable d’enseigner et donc d’éduquer dans et par les Droits humains, en garantissant l’égalité de traitement, le débat démocratique et le respect des droits de chaque élève. Enfin, l’enseignement doit être attentif aux émotions et aux attentes des élèves, car le sujet hautement émotif de la Shoah fait surgir identifications et ressentiments chez les élèves comme chez les enseignants. L’analyse, plus que sur les seules victimes, doit porter sur les mécanismes qui ont permis au régime génocidaire de perpétrer ses crimes: la radicalisation politique et l’instauration de la terreur.

En Allemagne, Eva Lettermann, enseignante en didactique de l’histoire à l’Université de Paderborn, préconise de faire travailler les élèves sur le cursus détaillé – la radicalisation – de criminels nazis individuels, comme son propre grand-oncle Franz Fischer, membre de l’office (Judenreferat) IV B 4 à Amsterdam, responsable de la déportation et de la mort de dizaines de milliers de Juifs des Pays-Bas. L’étude de l’implication d’un individu particulier (le matériel pédagogique permet de reconstruire six «carrières» de nazis, dont un a désobéi et sauvé des Juifs) doit permettre de soulever les questions primordiales de l’impact de l’idéologie sur l’individu et de l’espace laissé à la responsabilité individuelle

Pour Noa Mkayton, directrice adjointe du département européen de l’International School for Holocaust Studies de Yad Vashem, à Jérusalem, le problème actuel réside dans la décontextualisation de l’Holocauste, essentiellement de son imagerie, comme lorsqu’un graffiti représente une Anne Frank clairement reconnaissable, mais le cou entouré d’une keffiah d’enfant palestinien. Cette désappropriation de la spécificité de la Shoah ouvre la voie à une double banalisation, tant des victimes juives que des autres victimes. La bonne voie consiste à enseigner l’utilisation des sources historiques, de manière à briser généralisations et déterminismes et à mettre en lumière les processus de décision de tous les acteurs impliqués, les bystanders étant considérés comme acteurs à part entière.

D’autres contributions intéressantes abordent, pour la France, l’utilisation de l’image: l’Album d’Auschwitz, analysé par Alexandre Bande, peut être un très bon support au lycée, à condition de connaître parfaitement les lieux et l’histoire. Un film également, comme La petite prairie aux bouleaux, analysé par Christine Guimonnet, qui retrace avec rigueur le parcours de Marceline Loredan-Ivens.

Le voyage d’études fait l’objet de plusieurs contributions critiques. Isaac Touitou, professeur dans un lycée juif, et Pierre-Jérôme Biscarat, responsable pédagogique de l’association Yahad-In Unum, dédiée à la «Shoah par balles», insistent sur la préparation minutieuse nécessaire pour qu’enseignants et élèves puissent voir les lieux comme des lieux d’histoire où ont eu lieu des faits précis, et les resituer dans le passé juif d’avant- guerre. Davide Adacher, de L’Aquila (Abruzzes), anime un projet réservé à de très petits groupes préparés et motivés, qui commence en Italie même pour aboutir à Mauthausen ou Auschwitz, l’accent étant mis sur la négation des droits, prélude à la totalitarisation de la société et au crime de masse. Un exemple à suivre en Suisse, où, selon la réflexion d’Alice Morandi et Sandrine Ducaté, enseignantes au Cycle d’orientation, l’âge des élèves, leur impréparation et l’aspect «course d’école» diminuent, voire annulent le profit pédagogique de ces voyages.

L’ouvrage a une double vocation: réflexion théorique et surtout table ronde des approches pragmatiques qui ont été testées à ce jour dans différents pays, chacun abordant le problème dans sa perspective historique propre. Il s’adresse en premier lieu aux enseignants, éducateurs et acteurs culturels (écrivains, cinéastes) qui abordent ce sujet, par métier ou par choix, et sont à la recherche d’une méthode et d’un vocabulaire. Il peut aussi éclairer tous les parents soucieux d’expliquer à leurs enfants le pourquoi et le comment du crime contre l’humanité commis il y a moins d’un siècle.

Zitierweise:
Fivaz-Silbermann, Ruth: Rezension zu: Groupe d’étude de didactique de l’histoire de la Suisse romande: Enseigner la Shoah. Umgang mit der Shoah in der Schule. Insegnare la Shoah, Neuchâtel 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (2), 2020, S. 338-340. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00063>.